Les mémoires de Barack Obama, un best-seller.

«Une Terre promise», premier tome de la biographie de l’ancien président américain, paraît le 17 novembre dans 23 pays. Une sortie aux allures de superproduction.

La pandémie de covid ne pèse pas sur toutes les superproductions. Si elle a retardé la sortie du nouveau James Bond, différé l'annonce du Prix Goncourt, elle n'empêchera pas le volumineux premier tome des mémoires de Barack Obama, 848 pages dans sa traduction française, 768 en anglais, de paraître à la date fixée, le 17 novembre 2020. Le 44e président des Etats-Unis y raconte au fil de son stylo ses années de formation politique, son accession à la Maison-Blanche et sa présidence jusqu'à l'assassinat de Ben Laden en 2011.

La parution d'Une Terre promise (A Promised Land), dont un extrait vous est présenté ci-dessous en avant-première et en exclusivité suisse, promet d'être retentissante dans le monde de l'édition anglo-saxonne. Au point que l'annonce du Booker Prize 2020 - l'un des plus gros prix littéraires en langue anglaise - a été reportée au 19 novembre, pour éviter un choc frontal avec ces Mémoires très attendus.

Booker Prize reporté

Grâce à son premier livre, Les Rêves de mon père (1995) - le suivant, L'Audace d'espérer (2006), servant son ambition présidentielle - Barack Obama (58 ans) a déjà été adoubé comme auteur par la critique américaine. Et, dans le New York Times, la romancière Chimamanda Ngozi Adichie commence son article, paru avant tout autre, sur Une Terre promise, en déclarant: «Barack Obama est un excellent écrivain.» Reconnu par le monde littéraire, l'ex-président est invité à participer à la cérémonie de remise du Booker Prize aux côtés d'anciens lauréats, dont Margaret Atwood et le Prix Nobel de littérature Kazuo Ishiguro, note le Guardian. On en oublierait presque que le Nobel d'Obama en 2009 était celui de la paix.

Pour Crown, filiale du groupe Penguin Random House qui a négocié avec les époux Obama un montant record de 65 millions de dollars en échange de leurs Mémoires, si l'on en croit le New York Times, l'enjeu de cette parution, qui s'accompagne de fortes mesures de sécurité et d'un plan média étendu, est colossal. Pour le seul marché américain, le premier tirage est de trois millions d'exemplaires. Un chiffre inhabituel outre-Atlantique. Si bien que l'éditeur a dû faire imprimer un tiers de ces ouvrages en Allemagne et les faire acheminer par bateau vers l'Amérique. Le jeu semble en valoir la chandelle: le premier tome des mémoires de Barack Obama apparaît déjà en numéro un de la liste des best-sellers sur le site Amazon.com, dans ses versions imprimée, électronique et audio.

Le succès de «Devenir»

Une Terre promise paraît simultanément dans 23 pays et dans des langues aussi diverses que l'albanais, le finnois, l'arabe ou le vietnamien. Dans le monde francophone, c'est Fayard qui, malgré la fermeture des librairies en France, prévoit d'imprimer, pour commencer, 180 000 exemplaires du livre. Fayard avait déjà orchestré la parution, en novembre 2018, de Devenir (Becoming), l'autobiographie de Michelle Obama. De best-seller, le livre de l'ex-première dame est devenu «long seller». Sur deux ans, 390 000 exemplaires en français ont été vendus, sans compter les formats électronique et poche. Aux Etats-Unis et au Canada les ventes de Becoming ont atteint entre huit et dix millions d'ouvrages. Voilà qui augure pour Une Terre promise d'un succès, lui aussi, promis.

« Impossible d'échapper aux ombres héritées de notre histoire raciale »

Voici un extrait des 848 pages du premier tome d'«Une Terre promise», qui revient sur l'arrestation de Henry Louis Gates et ramène le président Obama vers la question noire.

Le 16 juillet 2009, Henry Louis Gates, professeur à Harvard et critique littéraire afro-américain, rentre chez lui à Cambridge dans le Massachusetts. La porte de son logement est bloquée. Il tente de la forcer avec l'aide de son chauffeur de taxi. Un voisin signale un cambriolage, la police arrive, arrête et inculpe le professeur Gates pour troubles à l'ordre public.

«Comme on pouvait s'y attendre, cet incident avait attiré l'attention des médias nationaux. Pour une grande partie de l'Amérique blanche, l'arrestation de Gates, qui s'était montré irrespectueux à l'égard des forces de l'ordre au cours d'un contrôle de routine, était entièrement légitime. Pour les Noirs, ce n'était qu'un énième exemple des humiliations et des inégalités, petites et grandes, que leur faisaient subir la police en particulier et toute forme d'autorité blanche en général.

J'avais pour ma part le sentiment que ce qui s'était passé relevait de quelque chose de plus spécifique et de plus humain que la simple fable édifiante sur les rapports entre Blancs et Noirs. Ayant vécu à Cambridge, je savais que les services de police de cette ville n'avaient pas la réputation d'être un repaire de suprémacistes à la Bull Connor. De son côté, Skip, ainsi que ses amis surnommaient Gates était aussi fort en gueule que brillant (moitié W. E. B. Du Bois, moitié Mars Blackmon, personnage excentrique du réalisateur Spike Lee), capable d'une certaine insolence, et je n'avais aucun mal à l'imaginer agonir d'insultes la police au point de faire sortir de ses gonds même le plus pacifique des représentants des forces de l'ordre.

Quoi qu'il en soit, même si personne n'avait été blessé, je trouvais toute cette histoire démoralisante: elle nous rappelait de manière cruelle que, même pour les Noirs ayant réussi à se hisser au sommet de la société, et même dans les quartiers blancs les plus tolérants, il demeurait impossible d'échapper aux ombres héritées de notre histoire raciale. Quand j'avais appris ce qui était arrivé à Gates, m'étaient revenus en mémoire, presque malgré moi, tous les incidents similaires que j'avais pu moi-même connaître. Toutes les fois où l'on m'avait demandé ma carte d'étudiant quand je me rendais à la bibliothèque sur le campus de Columbia, ce qui n'arrivait jamais à mes condisciples blancs. Toutes les fois où je m'étais fait contrôler au volant, sans aucune raison particulière, en traversant tel ou tel quartier «chic» de Chicago. Toutes les fois où j'avais été suivi à la trace par un agent de sécurité dans un grand magasin où j'étais venu faire mes courses de Noël. Le son des portières de voiture qui se verrouillaient sur mon passage quand je traversais la rue, en costume-cravate, en pleine journée.

Ce genre d'expériences étaient monnaie courante pour tous les Noirs que je connaissais, que ce soit des amis proches, de vagues connaissances ou les quidams croisés chez le barbier au coin de la rue. Si vous étiez pauvre, issu des classes populaires, ou que vous viviez dans un quartier défavorisé, ou encore si vous ne montriez pas tous les signes extérieurs du «Noir respectable», ces incidents prenaient en général une tournure beaucoup plus grave. Pour quasiment tous les hommes noirs de ce pays, et pour toutes les femmes amoureuses d'un homme noir, et pour tous les parents d'un enfant noir, ce n'était pas être paranoïaque, «jouer la carte raciale» ou manquer de respect aux forces de l'ordre que d'arriver à la conclusion que, quoi qu'il se soit passé par ailleurs ce jour-là à Cambridge, une chose était certaine: s'il avait été blanc, jamais un professeur de Harvard, renommé et fortuné, un homme âgé de 58 ans qui mesurait 1,70 mètre, pesait 65 kilos et marchait avec une canne à cause d'une blessure à la jambe remontant à l'enfance, n'aurait été menotté et emmené au poste au prétexte qu'il s'était montré injurieux envers un policier qui l'avait sommé de lui présenter ses papiers sur le seuil de sa propre fichue maison.»

Interrogé en conférence de presse, Barack Obama juge que la police de Cambridge a « agi stupidement » et souligne que les arrestations policières en Amérique visent de façon disproportionnée les Afro-Américains et les Latinos.

«Je m'en suis tenu là. En sortant de la conférence de presse ce soir-là, je pensais que les quatre minutes passées à commenter l'affaire Gates ne seraient traitées que comme un bref aparté dans le discours d'une heure que j'avais consacré à la réforme du système de santé.

Eh bien, je me trompais du tout au tout. Le lendemain, mes propos sur la «stupidité» de la police faisaient la une de toutes les matinales. Les porte-parole des syndicats policiers, estimant que j'avais insulté l'agent Crowley et les forces de l'ordre en général, exigeaient des excuses. Des sources anonymes affirmaient qu'on avait tiré des ficelles en haut lieu pour que les accusations portées contre Gates soient levées sans passer par la case tribunal. Les médias conservateurs s'en donnaient à cœur joie, interprétant mes propos comme l'exemple typique du président noir élitiste (professoral et prétentieux) qui prenait la défense de son copain de Harvard (grande gueule et prompt à dégainer la carte raciale) aux dépens d'un policier blanc issu des classes populaires qui n'avait fait que son travail. Lors du point presse quotidien à la Maison-Blanche, les journalistes ont interrogé Gibbs presque exclusivement sur ce sujet.

Il est venu me voir ensuite pour me demander si j'envisageais de publier un communiqué pour clarifier mes propos.

« Qu'est-ce que je devrais clarifier ? lui ai-je rétorqué. Il me semble que j'ai été suffisamment clair.

- Vu la tournure des commentaires, les gens pensent que vous accusez les policiers d'être stupides.

- Je n'ai pas dit qu'ils étaient stupides. J'ai dit qu'ils avaient agi de manière stupide. Nuance.

- Oui, j'ai bien compris. Mais...

- On ne clarifie rien du tout, ai-je tranché. Toute cette histoire va retomber d'elle-même ».

Mais, le lendemain, elle n'était pas retombée du tout. Bien au contraire, elle avait complètement éclipsé tout le reste, y compris notre message sur la réforme du système de santé. Assailli de coups de fil inquiets de la part des démocrates du Congrès, Rahm était au bord de la crise de nerfs. On aurait dit que j'étais arrivé à cette conférence de presse vêtu d'un boubou africain et que j'avais moi-même lancé un tombereau d'injures contre la police »

Le président mettra finalement un terme à cette affaire en invitant l'agent Crowley et le professeur Gates à se réconcilier autour d'une bière à la Maison-Blanche.

« Une Terre promise », Traduction de l'anglo-américain par Pierre Demarty, Charles Recoursé et Nicolas Richard, Fayard, 848 p. A paraître le 17 novembre 2020.