Les liens entre l’Ouganda et la rébellion du M23 interrogent.

Des voix congolaises s’élèvent pour dénoncer l’implication de Kampala dans l’attaque de Bunagana, une ville à la frontière entre les deux pays.

Nestor n'a pas recroisé de militaires ougandais, excepté quelques douaniers, depuis l'attaque de Bunagana. Dans la nuit du 12 au 13 juin, les insurgés du Mouvement du 23-Mars (M23), un groupe armé issu d'une ancienne rébellion à dominante tutsi rwandais, ont attaqué la partie congolaise de cette ville à cheval entre la République démocratique du Congo (RDC) et l'Ouganda. « Dès que j'ai entendu les premières explosions, à l'aube, j'ai couru jusqu'à la douane pour me mettre en sécurité », explique l'étudiant congolais, joint par téléphone. Une cinquantaine de soldats de la Force de défense du peuple ougandais (UPDF) sont passés devant lui avant de « traverser la frontière aux côtés des rebelles », affirme-t-il.

Réfugié lui aussi à la douane - zone neutre entre les deux pays - pendant l'offensive, Célestin a aperçu des hommes en uniforme qui portaient des bottes estampillées « UPDF ». « Ils échangeaient avec le M23 grâce à des radios talkie-walkie », indique ce résident de Bunagana. Pendant plusieurs heures, l'électricité a été « coupée » côté ougandais, rapportent deux témoins interrogés par Le Monde. « Pour faciliter l'attaque », analyse l'un d'entre eux.

Si la résurgence du M23 et l'intensification des combats, ces dernières semaines, ont d'abord ravivé les tensions entre la RDC et le Rwanda, accusé ouvertement par Kinshasa de soutenir les rebelles, la prise de Bunagana interroge aussi sur le rôle joué par l'Ouganda dans le conflit.

Le M23 convoitait depuis plusieurs semaines ce carrefour commercial stratégique. Les 28 et 29 mars, un premier assaut avait déjà été lancé sur Bunagana, que les Forces armées de la RDC (FARDC) avaient repoussé avec « le soutien de l'UPDF », précise un rapport du Groupe d'experts de l'ONU publié le 14 juin. Mais « lors de la seconde attaque, ils collaboraient avec le M23 ; nous n'avons pas compris ce changement de stratégie », développe Cédric, un représentant de la Société civile de Bunagana, qui regroupe des associations citoyennes.

Opération militaire conjointe
Le porte-parole de l'armée ougandaise, Felix Kulayigye, a rapidement nié l'implication de l'UPDF. « Si l'Ouganda avait voulu prendre Bunagana, nous avons un bataillon entier positionné à la frontière qui aurait pu le faire », a-t-il déclaré le 16 juin sur NBS, une chaîne de télévision ougandaise.

Ces démentis n'ont pas convaincu à Kinshasa. Le 21 juin, Christophe Mboso, le président de l'Assemblée nationale congolaise, a dénoncé l'occupation « illégale » de Bunagana avec la « complicité de l'Ouganda » lors d'un colloque entre les présidents des assemblées d'Afrique australe. Le deuxième personnage de l'Etat avait déjà annoncé en plénière, le 14 juin, la suspension du processus de ratification des accords conclus avec l'Ouganda, sans préciser lesquels étaient concernés.

Les deux pays étaient pourtant en phase de rapprochement depuis plusieurs mois. Le 31 mai 2021, le président congolais, Félix Tshisekedi, avait signé avec son homologue ougandais, Yoweri Museveni, un partenariat pour rénover 223 kilomètres de routes commerciales dans l'est de la RDC, notamment l'axe Bunagana-Goma, l'une des plus grandes villes du pays. Le 30 novembre suivant, les FARDC et l'UPDF avaient lancé « Shujaa », une opération militaire conjointe (toujours en cours) pour lutter contre les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe armé d'origine ougandaise affilié à l'organisation Etat islamique (EI) et qui multiplie les exactions dans l'est de la RDC.

« Les soupçons sur l'Ouganda remontent à quelques semaines. Tout est parti de l'activisme sur Twitter du fils du président ougandais, Muhoozi Kainerugaba, influent parce qu'il est le commandant en chef de l'armée de terre. Il y affichait son soutien au président rwandais, Paul Kagame, explique un parlementaire élu dans l'est de la RDC. Ce ne serait pas la première fois que nos voisins cherchent à élargir leur influence au Congo. »

Au moins 400 combattants
Ces derniers mois, le fils du président Museveni a multiplié les voyages à Kigali. La frontière entre les deux pays, fermée depuis février 2019, a rouvert en janvier 2022. « Ce rapprochement de l'Ouganda avec le Rwanda expliquerait en partie pourquoi les autorités de Kampala laissent faire. Le M23 s'approvisionne en Ouganda et passe la frontière sans être inquiété » , analyse Reagan Miviri, de l'institut congolais Ebuteli. Le chef de l'Etat ougandais a apporté « un soutien diplomatique clair en faveur du M23 », poursuit le chercheur, en conseillant à une délégation congolaise, en visite à Kampala mi-juillet, de dialoguer avec les rebelles. Ce que Kinshasa continue de refuser.

Les pays voisins de la RDC se sont déjà impliqués dans plusieurs conflits dans l'est du pays. Lors de la précédente insurrection du M23, en 2012-2013, plusieurs pays et institutions internationales avaient dénoncé l'appui de Kigali et Kampala. Avant sa défaite en 2013, le groupe armé avait occupé plusieurs agglomérations, dont Bunanaga, grâce au « soutien des commandants des forces armées ougandaises », selon un rapport du Groupe d'experts de l'ONU publié en novembre 2012. A cette époque, la branche politique opérait depuis Kampala. Son responsable, Bertrand Bisimwa, y a d'ailleurs vécu jusqu'en janvier 2022.

Le chef de la branche armée, Sultani Makenga, s'est également installé dans la capitale ougandaise pendant plusieurs années après la signature d'un accord de paix en 2013. Puis, malgré les sanctions onusiennes qui le visent depuis une dizaine d'années, le « général » est retourné dans le maquis congolais dès 2017 avec « environ 200 hommes », selon le porte-parole du gouvernement congolais de l'époque, Lambert Mende.

Tous auraient quitté le camp ougandais de Bihanga, où ils étaient cantonnés, pour établir une base sur le mont Sabyinyo, dans le parc congolais des Virunga. Difficile aujourd'hui d'estimer le nombre de combattants présents dans les rangs du M23, mais ils étaient au moins 400 fin mars et leur recrutement continue, selon les Nations unies. @C.P.